Un grand maître !
Il dit :
"Un bon luthier doit avoir la main, l'œil, l'oreille et beaucoup de
sensibilité", Jean Bauer possède, au plus haut point, toutes
ces qualités. A 90 ans, après avoir réalisé 483
violons, 75 altos, 72 violoncelles, il s'assoit toujours devant son établi,
ciseaux en main pour achever une volute, tailler une âme ou tracé
la courbe de sa prochaine œuvre. Il rougira peut-être, lui qui fait
de l'humilité une vertu cardinale, mais Jean Bauer est un des plus grands
maîtres français de la lutherie.
Il convient d'ailleurs de parler de dynastie quand on évoque le nom de
Bauer. Son grand-père, d'origine autrichienne, était déjà
fabricant d'instruments de musique à Tarbes. Son père s'installa
à Laval, à la fois facteur et luthier. Aujourd'hui, Jacques Bauer,
le fils de Jean, poursuit avec talent la tradition familiale. Quatre générations
de luthiers, un cas unique en France…
Jean a dix
ans en 1924 : "Je ne voulais pas faire d'études, je voulais être
luthier. Evidemment, mon père n'était pas de cet avis. Il m'envoya
donc pendant cinq ans en pensionnat. Enfin, à quinze ans, j'eus l'autorisation
paternelle de commencer ma formation. C'est ainsi qu'il fut accueilli à
Mattincourt dans l'atelier de Marius Didier. "J'ai passé là
des moments extraordinaires. Je vivais avec la famille de mon maître,
je dormais et je mangeais chez lui. En dehors des heures de travail, nous jardinions
ensemble. C'était une formation digne de celle que recevaient les apprentis
dans les ateliers de la Renaissance. Les distractions étaient courtes,
et j'étais très concentré sur mon travail."
Jean Bauer, pour avoir parcouru la distance maintes fois à pied, connaît
exactement le kilométrage, à la centaine de mètres près,
entre Mattincourt et Mirecourt : 1 kilomètres 800. Mirecourt, cœur
battant de la lutherie française, lui offrait les loisirs d'une partie
de billard, parfois d'une séance de cinéma. Mais tout ceci était
de l'ordre de l'exceptionnel. L'étude prenait tout son temps. De là
vient sans doute la foi indestructible dans la qualité de son travail.
"J'ai la main Mirecourt, j'exécute les gestes avec rapidité.
Vous savez, quand on crée des violons et des violoncelles, la vie n'est
pas facile tous les jours. J'ai décidé de ne jamais me décourager
plus d'une nuit et de repartir le matin avec la même force. J'ai appris
l'humilité, et aussi qu'il ne faut aussi pas croire tout ce que l'on
vous dit sur vous, il faut seulement croire dans son travail."
En 1942, alors qu'il vient tout juste de s'établir à Angers (il
voulait une ville pas trop éloignée de Paris, mais qui lui offrirait
la paix nécessaire à la création), il vend son premier
violon à un musicien professionnel. "C'était le seizième
que je fabriquais, j'y ai gagné beaucoup de confiance en moi." Depuis,
de très nombreux musiciens et parmi eux les plus grands artistes Schering,
Crémieux, Wallez, ou encore Rostropovitch…"J'ai fait dans
ma vie un violoncelle que beaucoup de personnes averties s'accordent à
trouver magnifique. Le bois est effectivement exceptionnel, et j'ai su servir
ces qualités premières par un vernis qui magnifie le chatoiement
de ses veines. Cette basse s'appelle “La Récamier”. Et je
l'aime tout particulièrement. Elle n'est pas destinée à
être jouée, mais à être admirée. Un soir, pourtant,
Rostropovitch est venu chez moi pour jouer ce violoncelle. C'était très
émouvant."
Outre son œuvre reconnue mondialement, Jean Bauer a toujours milité
pour la renaissance
de la musique classique. "J'ai fait la majeure partie de ma carrière
alors que la musique était totalement sinistrée en France. Avec
l'arrivée du cinéma parlant, des centaines de musiciens, qui jouaient
dans les salles de cinéma en accompagnement des films, se sont retrouvés
à la rue. La crise a duré une trentaine d'année. Marcel
Landowski, alors que Malraux était ministre de la Culture, a lancé
la création des orchestres régionaux. Parallèlement, des
écoles de musique et des conservatoires se sont créés partout
en France. Des centaines d'élèves se sont mis à l'étude
du violon. Or, il n'y avait plus assez de luthiers en France."
Avec de grands confrères, et notamment Marcel Vatelot, il sera à
l'origine de la création de l'Ecole Nationale de Lutherie de Mirecourt.
"Il y a trente ans la lutherie était totalement déconsidérée,
aujourd'hui on compte plus de 400 luthiers en France. C'est bien. Je pense néanmoins,
qu'il faut aujourd'hui resserrer les exigences, les formations doivent être
encore plus poussées qu'elles ne le sont aujourd'hui." La perfection
toujours et encore, comme un credo...
Monsieur Veuze !
Thierry Bertrand à découvert la veuze à 13 ans. Ce qui nécessite tout de même une petite explication de texte, car au juste, la veuze, c’est quoi ? « C’est une sorte de cornemuse très ancienne, explique-t-il. On retrouve notamment sa trace dans un texte de Rabelais. Au Moyen-Age, en Europe et sur le pourtour Méditerranéen, on comptait une soixantaine de types différents de cornemuse. A l’origine, elle était jouée au sein des fanfares militaires des armées romaines. On l’appelait alors Utricularium, ce qui signifie “tuyau sur une outre“. On peut imaginer que les conquêtes romaines ont aidé à la dissémination de cet instrument. La veuze, qui était particulièrement jouée dans l’ouest de la France, a disparue en 1930. »
Plus personne ne jouait de cette cornemuse régionale dans les fêtes
de village où dans les veillées rurales. Ce n’est que dans
les années soixante-dix qu’une poignée de personne commence
à s’intéresser au sort de l’instrument oublié.
« J’avais 15 ans quand j’ai rencontré Jean-Yves Séveno,
un enseignant qui menait des recherches sur la veuze. Cet aspect documentaire
m’a immédiatement emballé ? Il y avait un côté
mystérieux, on allait de découvertes en découvertes, sur
un objet que plus personne ne connaissait. Je faisais des relevés de
plan, je photographiais sous tous les angles les veuze qui existaient encore.
Et puis, à 16 ans, je me suis lancé dans la fabrication. »
Il faut dire que Thierry vient d’une famille de tourneur. A 11 ans, il
tournait déjà le bois. Technique essentielle pour réaliser
une veuze. Elles sont en effet constituées d’une poche en cuir,
la poche d’air, sur laquelle sont fixés trois tuyaux de bois :
un tuyau mélodique, un bourdon et un porte-vent qui alimente la poche
en air. Au début des années 80, après quinze années
de recherche, il crée des instruments destinés à être
joués aujourd’hui : « Nous n’étions que cinq
ou six personnes à pratiquer la veuze. Pour développer son usage,
il fallait repenser l’instrument pour lui donner un diapason moderne.
C’était la condition nécessaire à sa renaissance.
»
Thierry met au point et fabrique cette veuze “contemporaine” et
parallèlement il crée une école. « Je ne suis pas
particulièrement un enseignant dans l’âme, mais il fallait
bien que quelqu’un commence. » Une première classe de veuze
s’ouvre donc à Nantes en 1983, avec cinq élèves.
« J’ai collecté le matériel musical dans les campagnes.
Plus personne ne jouait de la veuze, mais beaucoup de gens connaissaient encore
le répertoire traditionnel. Ils chantaient et j’enregistrais. Restait
à définir une méthode pédagogique pour structurer
l’apprentissage. »
Aujourd’hui, des classes de veuze sont ouvertes à Nantes, La Garnache,
Angers, Rennes, Saint-Brieuc et Paris, et l’on compte près de 350
joueurs. Un véritable succès que Thierry à un peu de difficulté
à appréhender : « Oui, je suis le point de départ
de tout ce mouvement. Franchement, au début, je n’aurai jamais
imaginé l’ampleur que cela pouvait prendre. »
Dans son atelier, dans un petit village de Vendée, il continue à
créer des veuze : « Je n’ai aucun objectif de rentabilité.
Je les fabrique pour l’Association des sonneurs de veuze. J’en sors
une dizaine par an. »
Mais jouer, tout simplement, de son instrument fétiche, l’enchante
davantage. Il fait partie de deux compagnies de musique Renaissance : “Outre
mesure“ et “Maistre Guillaume“, avec lesquelles il donne des
concerts et enregistre des CD. Il a également fondé un ensemble
: le “Duo Bertrand“.
La recherche reste sans aucun doute sa grande passion. Il fréquente assidûment
les archives de la Bibliothèque Nationale, se rend à Bruxelles,
Vienne, Washington ou Boston où il découvre des merveilles. «
Au Smithsonian Muséum de Washington, dans les réserves, j’ai
trouvé une veuze du 19éme, encore emballée, et dont la
hanche n’avait jamais servie. C’était un grand moment. »
Chapeau, Monsieur Veuze !
Une lutherie de campagne
Comme il
y a des médecins de campagne, Jean Gardaz se définit comme un
luthier… de campagne. « Ça peut paraître bizarre, mais
c’est vraiment ça ! Un médecin, dans les villages, ça
soigne les grippes et ça peut aussi faire un accouchement. Moi, je fais
des violons, mais je peux tout aussi bien accorder un clavecin, refaire un bouton
d’archet, ou créer une pièce de rechange pour une guitare
électrique. Pour tout ce qui touche aux cordes, pincées ou frottées,
je suis en mesure de répondre aux demandes locales. J’ai interrogé
les enseignants dans les écoles de musique vendéenne. Ils ont
besoin de quelqu’un de polyvalent, j’ai donc une activité
panachée entre la fabrication, la location, le réglage, la restauration,
la réparation et la vente d’instruments … »
Après avoir fait des études de lutherie à Londres, au London
Collège of Fourniture, il travaille dans plusieurs ateliers parisiens.
Installé à Fontenay-le-Comte, depuis 1995, Jean Gardaz à
une approche toute personnelle de son métier. « Je veux tout faire
tout seul dit-il. J’avais des machines, je les ai vendues. J’exécute
tout mon travail à la main. J’ai fabriqué moi-même
mes propres outils. J’aime aller chercher mon bois en forêt. Tronçonner
l’arbre que j’ai choisi avec le bûcheron. Si j’ai besoin
de nacre, je vais chercher des coquillages sur les plages de l’Atlantique.
Il n’y a que pour les cordes que je passe encore par des fournisseurs,
mais, un jour, je les ferai moi-même. C’est un vrai plaisir, de
gérer entièrement la chaîne des matériaux. De voir
naître la planche de l’arbre repéré quelque temps
plus tôt, d’usiner le bouton de nacre de la coquille ramassée
sur le rivage. Je m’inspire des luthiers du XVIIéme et du XVIIIéme
siècle. Il y avait peu de moyen de transport, ils fabriquaient leurs
instruments en se servant des matières premières disponibles dans
leur région. »
Et si l’on demande à Jean pourquoi il est devenu luthier, il parle
immédiatement de “L’arbre qui chante“, et l’on
comprend d’où vient cette
soif d’essentiel, cette envie d’être au plus proche du caractère
élémentaire des matériaux : « Mon désir d’être
luthier s’est véritablement matérialisé après
la lecture d’un livre de Bernard Clavel qui avait pour titre, “l’Arbre
qui chante“. C’est l’histoire d’un enfant qui voit un
arbre mort, de cet arbre son grand-père façonnera un violon, une
sorte de résurrection de la matière. Il se trouve qu’un
de mes grands-pères était Ukrainien et qu’il jouait du violon.
Après la révolution, pendant la guerre des Koulaks, il a été
spolié de son bien par les soviets. Cet instrument était, semble-t-il,
d’une grande valeur. Comme tout était scrupuleusement archivé
par les fonctionnaires de la révolution, un jour je me lancerai dans
une recherche pour retrouver la trace de ce violon. Voilà, ces histoires
ont sans doute contribué à faire de moi un luthier. » Un
luthier de campagne…
La Chapelle-sur-Erdre, Loire-atlantique
Dans le ventre de l'orgue…
C'était un petit disque, enfant, Bernard Hurvy l'écoutait en boucle
: "La Toccata et fugue en Ré mineur de Jean-Sébastien Bach,
voilà ma première grande émotion musicale." A dix
ans, tout était joué : Bernard Hurvy était tombé
dans le ventre de l'orgue. Il n'allait plus en sortir…
"J'ai pris des cours de solfège, puis j'ai commencé à
jouer de cet instrument fascinant. L'école me laissait un peu plus froid.
Je m'intéressais surtout aux activités de loisirs, j'étais
notamment inscrit à un club d'électronique où, à
16 ans, j'ai fabriqué mon premier orgue."
Quelques années plus tard, au hasard d'un déjeuner en Bretagne,
les parents de Bernard se trouvent placés à côté
d'une table dont la conversation leur fait dresser l'oreille. "Ils étaient
les voisins d'un facteur d'orgue. Evidemment, connaissant ma passion, ils n'ont
pas hésité à aborder cette personne. Etonnée par
la description de mon enthousiasme, elle propose à mes parents de m'accueillir
dans son atelier pour une visite guidée. Dès les premières
vacances, j'ai sauté dans un train et je me suis rendu chez ce facteur,
qui était établi non loin de Metz. Immédiatement, j'ai
été envoûté par l'odeur de bois, de vernis. Miracle,
à la fin de la journée, on me proposait de faire un stage chez
eux. L'été suivant, j'étais devant mon établi…A
la fin de mon séjour, je demandais à être embauché.
On m'a répondu que l'on m'appellerai. Inutile de dire que j'ai repris
la Fac avec une seule chose en tête : le coup de fil libérateur."
Comme rien ne venait, et que Bernard commençait sérieusement à
s'inquiéter, il décide de reprendre le chemin de l'atelier. "Ils
ont été surpris de me voir arriver, comme ça, sans prévenir,
avec la ferme intention d'être engagé. On me propose alors de rencontrer
le chef d'atelier. Soulagement, il accepte de me prendre, j'étais sauvé
! Je suis resté cinq ans dans la manufacture d'orgues Haerpfer-Herman"
En 1980, Bernard Hurvy passe son CAP de facteur d'orgue, la carrière
pouvait commencer. "Je fais partie de la dernière génération
qui a pu être embauchée par des manufactures suffisamment importantes
pour se permettre de former des jeunes apprentis. La formation représente
un investissement en temps important pour un atelier. Or, aujourd'hui, pour
arriver à vivre de ce métier, les entreprises ont dû réduire
leur taille. Avec moins de personnel, il devient compliqué de consacrer
du temps à un jeune. Il faut dire que la facture d'orgue est très
anachronique par rapport au contexte économique actuel. Nous représentons
un métier où la main d'œuvre est très spécialisée,
alors que nous ne pouvons proposer que des coûts très faibles.
Le Marché de l'orgue ne s'adresse pas aux particuliers mais aux collectivités.
Elles ont, elles aussi, des budgets serrés. Il faut donc s'adapter. En
réduisant leur taille, les ateliers ont gagné en souplesse de
gestion ce qu'ils ont perdu en capacité de formation."
Installé depuis 1991 à La Chapelle-sur-Erdre, l'atelier de Bernard
Hurvy connaît une notoriété nationale. Il est notamment
l'auteur des restaurations des orgues de Moutiers, de l'Abbaye de Saint-Flour,
de la cathédrale d'Orléans, de la cathédrale de Blois,
de la chapelle du Val de Grâce à Paris, ou encore de l'orgue de
l'église de Belle-Île-en-Mer, toutes classées monuments
historiques. "Cette diversité est, par elle même, captivante,
reprend Bernard. Chaque orgue est un cas, possédant son caractère,
ses qualités, son histoire, son contexte. Baroques, romantiques, contemporaines,
j'aime toutes les orgues. Un peu d'imagination permet d'adapter l'écoute
et, dès lors, de se laisser naïvement porter par l'harmonie des
sons." Comme un enfant qui écoute la Toccata…
Nantes,
Loire-atlantique
Héritier de l'école française
"Je suis tombé dans les copeaux quand j'étais petit, signale
d'emblée Michel Jamonneau. Mon père et mon oncle étaient
menuisiers. En revanche, ce n'était pas une famille de musicien."
Tout de même, la sœur de Michel jouait de la guitare. Elle faisait
partie de l'association musicale de son village, la Chapelle-Bâton, dans
les Deux-Sèvres, et emmenait souvent Michel avec elle. "Mes parents
ont vu que je m'intéressais à la musique. Ma mère est aller
recherché chez ma grand-mère le violon qu'elle jouait quand elle
était jeune. Elle avait assez vite arrêté, mais l'instrument
existait toujours. Ils l'ont remis en état et j'ai commencé à
prendre des cours."
A quatorze ans, Michel avait déjà fait son choix : il serait luthier,
un point c'est tout ! "Je n'avais jamais entendu parler de l'école
de Mirecourt. Mais, par chance, un jour j'ai parlé de mon envie à
une personne qui tenait un magasin de musique à Niort. Elle m'a donné
l'adresse de l'école."
A 16 ans, il entre en formation : "Problème, il n'y avait plus de
place en lutherie, en revanche on m'acceptait en archèterie. Je me suis
dit que je changerai de filière en cours de route. Mais, au bout de quelque
mois, j'étais séduit. J'ai eu la chance d'avoir comme professeur
Bernard Ouchard. Il était fils et petit-fils d'archetiers. Il faut savoir
que l'école française d'archèterie est sans doute la meilleure
au monde. A la fin du XVIIIéme siècle, François-Xavier
Tourte met au point l'archet tel que nous le connaissons aujourd'hui. On parle
de lui comme le Stradivari de l'archèterie. Dans son sillage, des hommes
tels que Voirin, Lamy, Sartori ou Pecatte achèveront de constituer cette
école française. Dont Bernard Ouchard est l'héritier directe
par le travail de son grand-père puis de son père. A Mirecourt,
les gestes et les techniques que j'ai appris sont ceux qui étaient utilisés
pendant tout le XIXéme siècle dans les grands ateliers parisiens."
Mais quels sont ces gestes et ces techniques, rien ne paraît plus dépouillé
qu'un archet ? "C'est vrai, pourtant je vous assure qu'une formation de
trois années n'est pas de trop pour apprendre à réaliser
un bon archet à la fois équilibré dans ses masses, agréable
à la main et capable de produire de la sonorité. Sans doute, les
gestes peuvent paraître simples. Tout part d'une baguette en bois de Pernambouc,
qu'il faut chauffer à la flamme pour lui donner sa courbure. On la plie
progressivement sur le coin de l'atelier."
Pour savoir si le travail est bien fait, pas de mesures scientifiques, juste
le coup d'œil. "On dit que la courbe est bonne quand, une fois l'archet
fini, la mèche de crins détendue effleure légèrement
le milieu de la baguette."
Une grande part d'intuition et de qualité de main entrent dans la fabrication
des archets. "Il faut également disposer de bois de toute première
catégorie. C'est essentiel d'utiliser une matière première
excellente. Avant de trouver un bon fournisseur cela peut rendre des années,
souligne Michel. "
Les baguettes d'archet sont exclusivement taillées dans ce bois de Pernanbouc,
qui ne pousse que sur la côte Est du Brésil. Rare, il est évidemment
cher. "Il faut compter près de 40 euros pour un kilo de bois. Or,
parfois, avant de trouver la bonne bûche, on peut en éliminer plusieurs."
Des kilos de Pernanbouc partent ainsi au rebus…
Autre souci de l'archetier : la qualité du crin. "Là encore,
il faut trouver un bon fournisseur. Le mien est anglais et son travail est remarquable.
Les crins de cheval sont triés scrupuleusement pour ne garder que les
plus droits."
Pour faire un archet, Michel compte deux semaines, chaque année entre
18 et 24 archets sortent de son atelier. "Mon travail évolue, je
le vois bien. Je suis à la recherche de la rigidité et de la beauté."
Car souvent, le beau est aussi l'ami du bon.
La mécanique de la musique
Il est né dans les Vosges, à quelques kilomètres de Mirecourt,
le célèbre centre de lutherie d'instruments à cordes. Et
si Gérard Klein est aujourd'hui luthier, ce ne sont pas des violons,
altos et violoncelles qui sortent de son atelier, mais des saxophones, des trompettes,
ou encore des saquebouttes. "Le terme de luthier est principalement employé
pour les faiseurs de cordes pécise-t-il, pour les vents, c'est plus rare.
Mais, effectivement, on peut tout à fait dire que je suis luthier en
instruments à vent. "
Enfant, Gérard Klein avait deux passions : la musique et la mécanique.
"Je viens d'une famille de musiciens. Impossible, chez nous, de passer
une fête familiale sans jouer après le dîner. J'ai appris
la musique avec mon grand-père qui pratiquait de nombreux instruments.
A six ans, je donnais mon premier concert. Parallèlement, j'étais
fou de mécanique. Mon père m'avait donné le virus. J'ai
passé mon adolescence les mains dans le moteur de ma Mobylette, avec
mon frère nous avons fabriqué nous-mêmes nos enceintes de
chaînes HI-Fi. En fait, j'ai longtemps hésité entre la mécanique
et la musique. C'est sans doute en raison de cette double passion que je me
suis naturellement dirigé vers les vents, pour leur côté
mécanique : les pistons, le métal… toute cette tuyauterie
n'était pas sans charme pour moi."
Gérard Klein s'engage dans la fanfare municipale de Raon-l'étape,
sa ville natale. Une bonne manière de retrouver les copains le soir et
de faire de la musique : "Je ne viens pas d'une famille très riche,
un instrument représentait un investissement important. Aussi, quand
j'ai intégré la fanfare, je me suis fait prêter par le chef
d'orchestre le seul instrument à vent qui était disponible. C'était
une flûte traversière, j'aurais nettement préféré
une trompette, mais bon, je n'avais pas le choix."
Parfois le hasard fait bien les choses, car sans cette flûte traversière,
Gérard Klein n'aurait sans doute jamais rencontré sa femme, Guilaine,
qui travaille aujourd'hui à ses côtés. "Effectivement,
c'est au conservatoire de Nancy, en classe de flûte traversière,
que nous nous sommes connus. Et c'est aussi grâce à notre professeur
de flûte, Jacques Mul, que nous sommes devenus luthiers l'un et l'autre.
Il n'existait pas d'école spécialisée, il fallait apprendre
sur le tas."
Comme tous les fabricants d'instruments étaient à paris, Gérard
et Guilaine quittent leurs Vosges natales pour “monter à la capitale”.
"La formation était un peu rude, reconnaît-il aujourd'hui.
Nos maîtres avaient appris comme ça, ils reproduisaient le même
schéma. Le premier jour, on nous a mis une lime et un morceau de ferraillage
dans les mains “faites-moi un tournevis”, nous a dit le patron.
On était un peu surpris…"
Après avoir travaillé dans les meilleurs ateliers parisiens, Gérard
apprend que l'Ecole Nationale d'Apprentissage des Métiers de la Musique
(ENAMM), implantée au Mans, cherchait un professeur pour l'ouverture
d'une nouvelle classe spécialisée dans les instruments à
vent. "J'ai accepté, ça me permettait de faire une pause,
de réaliser une sorte de bilan sur ce que j'avais fait dans ce métier.
J'ai enseigné un an, mais la lutherie me manquait. J'ai donc décidé
de créer mon entreprise."
Depuis 1990, Gérard et Guilaine Klein ont ouvert l'atelier d'Orphée
dans le vieux Mans. "Nous avons engagé trois personnes et nous nous
occupons de tous les instruments à vent, en réparation, entretient,
restauration, location, vente…"
Mais, la vraie finalité pour un atelier reste la création d'instruments.
"Dans la famille des vents, il est difficile de se lancer dans la fabrication.
Si vous prenez notamment le saxophone, il faut derrière vous des moyens
quasi industriels. La création me manquait, or un jour, un musicien est
venu chez nous avec un sacquebute, l'ancêtre du trombone à coulisse.
Et là, je me suis dit qu'il était possible de faire quelque chose…"
Depuis quatre ans, Gérard Klein est complètement passionné
par cet instrument ancien : " Il a tout d'abord fallu entreprendre un gros
travail de recherche documentaire. Ensuite, à partir d'un sacquebute
existant nous avons procédé à une série de tests
en laboratoire, notamment pour prendre toutes les mesures de l'instrument et
pour définir des critères acoustiques. Ensuite, nous avons tâtonné
pour trouver les bons procédés de fabrication. Un orfèvre
du Mans m'a d'ailleurs aidé.
Sur certains points, l'orfèvrerie se rapproche de notre métier,
nous travaillons chacun sur du métal. On a redécouvert les techniques
de manière empirique, tant bien que mal, on a fini par sortir un premier
pavillon..." Tout est aujourd'hui en place pour que l'atelier d'Orphée
produise une dizaine de sacqueboutes par an. Gérard Klein est aux anges
: "En plus, c'est un vrai retour à la mécanique…"
Un Titi parisien amoureux de la gratte…
Il n’est pas né à Paris mais à Pigalle, nuance. Gilles
Pourtoy est une graine de boulevard poussée entre la place de Clichy
et Barbès. Il en garde un franc parlé et une décontraction
à toute épreuve. « Je ne suis pas d’une famille d’intello,
avoue-t-il d’emblée, plutôt manuelle. Dans mon quartier,
il y avait, et il y a toujours d’ailleurs, deux grandes spécialités
: le “charme“ et la vente d’instruments de musique…
J’ai très tôt opté pour la seconde. A 15 ans, je jouais
de la guitare, et j’étais déjà passionné par
le travail des luthiers du quartier. Vers 18 ans, j’ai rencontré
Dominique et Greg, ils habitaient à deux pas de chez moi. C’étaient
d’excellents luthiers, pour les connaisseurs, ils ont fondé la
marque DNG. J’étais tout le temps fourré chez eux. Je déréglais
ma guitare pour venir les voir. Un samedi, je suis passé six fois de
suite. Là, ils m’ont dit : “arrête ! Tu vas finir par
casser ta guitare, viens quand tu veux et laisse ton instrument chez toi“.
»
C’est ainsi que Gilles se mit à la lutherie, sur le tas, par passion.
« Je ne lis pas dans le marc de café, mais j’ai toujours
eu la chance de savoir où j’allais. Malgré mon côté
décalé, je trace ma route. »
Gilles Pourtoy est luthier depuis 15 ans, sa notoriété ne cesse
de grandir. Il a réalisé cinq guitares pour Stéphane Sansévérino.
Le jazzman, Raphaël Faïys, fait également partie de sa clientèle,
tout comme Gérard Lalouette du groupe Marie qui s’la joue. Cette
reconnaissance flatte évidemment l’ego sympathique de Gilles, qui
ne classe pas la modestie parmi les défauts majeurs, mais elle le trouble
aussi : « La réussite ? On ne peut qu’être content
quand elle arrive, mais ça renvoie aussi vers des choses que je n’aime
pas : on me cire les pompes et je n’aime pas ça ! Un ancien luthier
m’a dit : “tu feras une bonne guitare au bout de dix ans de métier.“
C’était faux, j’en ai réalisé une bonne après
neuf ans…Quand tu es débutant, tu n’arrêtes pas de
te dire “pour la prochaine guitare, je ferai comme-ci et pas comme-ça“.
Tu corriges le tir à chaque fois. Et puis, quand tu fais ton premier
bon instrument, tu ne bouges plus, tu fixes les gestes, la méthode. L’échec
est donc plus formateur que la réussite. Comment faire une bonne guitare
? Le mode d’emploi n’existe pas, le livre n’est pas écrit.
Évidemment, quelqu’un qui à trente ans de métier
en sait plus qu’un petit jeune. Je respecte donc le savoir des autres
luthiers, et j’aime bien, à mon tour, transmettre ce que je sais.
Ce n’est pas simple, ça demande beaucoup de travail. Quand je prends
un jeune, je ne lui passe rien. S’il fait de la daube, il se l’entend
dire… Mais je lui demande toujours de comprendre pourquoi il s’est
planté. Je ne lui indique pas le bon truc tout de suite, il faut qu’il
réfléchisse. Si tu donnes la recette dès le début,
il va croire que c’est facile. Or, évidemment, ça ne l’est
pas… »
Le Titi parisien est aujourd’hui établi dans un petit village de
Mayenne, d’où sa femme est originaire. Pour quelqu’un comme
Gilles, qui aime particulièrement la vie de la nuit, il n’était
pas inutile de s’éloigner des tentations de la capitale…
« On s’est tout d’abord arrêté à Rennes
pendant quelques années, explique-t-il. C’était un sas de
décompression nécessaire avant de vivre complètement à
la campagne. »
Cette vie plus protégée lui va mieux, même s’il ne
peut s’empêcher de rêver à New-York et Chicago. Un
jour, c’est sûr, il partira aux Etats-Unis…
Nantes,
Loire-Atlantique
Artisan
de l'émotion
Fanny Reyre avait 8 ans. Avec les élèves de sa classe, elle assiste
un après-midi à un concert de l'orchestre des jeunes de Lowenguth,
au jardin d'acclimatation à Neuilly-sur-Seine. « Alfred Lowenguth
nous a présenté tous les instruments de l'orchestre, en mentionnant
notamment qu'il n'y avait pas assez de violonistes et qu’il était
donc important de faire du violon… » Ces paroles allaient s'inscrire
de manière définitive dans le jeune esprit de Fanny : «
J'avais eu un coup de foudre pour l'orchestre et plus particulièrement
pour le violon, souligne-t-elle. J'ai résolu de devenir violoniste. Mais
j'ai gardé ça au fond de moi et, comme je pensais qu'on lisait
dans mes pensées, je n'en ai pas parlé à mes parents. Je
voulais qu'ils devinent. L’envie a grandi en moi et quand elle est devenue
irrépressible, j'ai éclaté en disant : pourquoi vous ne
voulez pas que je fasse du violon ? Etonnement général…
Bien sûr, les parents de Fanny ne lisaient pas dans les pensées,
en revanche ils écoutaient assez bien les désirs de leur fille
et Fanny commença des cours de violon. « C'était magique,
pour moi, ce premier cours de violon. J'avais 12 ans, et tout de suite on m'a
dit que c'était trop tard pour faire une carrière. Bon, j'avais
raté le bus… Mais j'étais passionné par cet instrument.
C'est un objet qui a une présence incroyable. L'histoire d'amour a vraiment
commencé à ce moment-là, mais je savais que je n'en ferai
pas ma vie. Pourtant, à 16 ans, en vacances chez des amis, quelqu'un
m'a dit : “puisque tu aimes le violon, pourquoi ne pas faire de la lutherie
?” Je crois que si on ne me l'avait pas dit, jamais je n'aurai osé
y penser seule. Là encore, j'ai gardé ça pour moi. Une
fois le Bac passé, j'ai annoncé à mon père que je
voulais être luthier. »
Un peu désarçonné, mais toujours à l'écoute,
son père lui conseille de commencer par apprendre le travail du bois.
Pendant un an, elle se formera au maniement des ciseaux, des gouges et des rabots.
Elle apprendra à reconnaître les différents types de bois
se familiarisant avec les veines et les copeaux. Puis, Fanny partira pour le
Pays de Galles pour trois ans. « Il y avait là-bas une excellente
école de lutherie. J'y suis resté trois ans. Trois années
éblouissantes. Je touchais du doigt ce que je désirais faire depuis
si longtemps, et je n'étais pas déçue. »
De retour à Paris, elle est prise en stage chez les deux seules femmes
luthiers de France : « C'était clair, elles m'ont dit qu'elles
me prenaient parce que j'étais une fille. Cette profession était
jusqu'alors très masculine. J'ai vécu la bascule, c'était
un milieu qui était prêt à accepter les femmes. Aujourd'hui,
nous sommes assez bien représentées. »
Puis, en 1984, Fanny apprend qu'un luthier, à Nantes, Bruno Bour'his
cherchait un assistant. « Je me souviens encore du moment où j'ai
poussé la porte de l'atelier, pour ce qui allait être, jusqu'à
aujourd'hui, mon seul entretien d'embauche. »
Quatre ans plus tard, Bruno Bour'his décide de passer la main et Fanny
prend sa suite : « Un ami m'a alors dit, tu te mets à ton compte,
tu vas vieillir de 20 ans. Effectivement, une somme assez énorme de responsabilité
vous tombe dessus, mais ce n'est pas si mal de vieillir… »
Quand on lui demande comment elle se définit aujourd’hui, elle
répond sans hésiter : « Je suis profondément artisan.
Mais pas artisan d’art, ce terme m’agace un peu, il est à
mon sens mal choisi. Je pratique un artisanat culturel. Ce n’est pas moi
l’artiste, c’est le musicien. »
Voilà l’autre grande passion de Fanny : ce contact continu avec
des musiciens : « Fabriquer un violon n’est sans doute pas ce qui
me motive le plus. J’aime en fait toutes les facettes de mon métier.
J’aime effectuer des réparations, régler des instruments,
discuter avec les musiciens, les petits élèves comme les grands
solistes. J’adore profondément ce côté varié.
Je ne pourrai pas me consacrer exclusivement à la fabrication. »
Bon an mal an, Fanny crée néanmoins entre un et trois instruments.
« Les gestes, je les ai intégrés, la partie culturelle de
ce métier aussi. La fabrication est une distillation. Aujourd’hui,
mon coup d’outil est libéré et nourri de ce que je sais.
Mes instruments ont évolué, ils ont gagné en puissance
sonore, tandis que je prenais moi-même de l’assurance. » Dans
chaque instrument réalisé, peut-être pourrait-on voir une
manière d’autoportrait, celui d’une jeune femme profondément
amoureuse des violons, et des musiciens qui les jouent…
L'esprit et la forme
"Les violons sont des fruits qui tombent quand ils sont mûrs",
Patrick Robin dit ce genre de phrase. Pas immédiatement. Il faut apprivoiser
ce garçon posé, toujours à la recherche du mot juste, avant
de le voir oser une métaphore. Patrick Robin aime ce qui a du sens :
"La lutherie est avant tout une pratique dit-il. Ce qui est important,
c'est de faire tous les jours. Je pratique aussi l'Aïkido, on ne se pose
pas de question de l'ordre du résultat, l'important là aussi c'est
de faire. En lutherie, il faut donc accepter de prendre des risques. Accepter
de nourrir le geste de l'humeur du jour. Ce qui jaillit de soi est juste, les
violons sont des fruits qui…" vous connaissez la suite.
Mais Patrick enchaîne : "C'est une démarche finalement très
proche de celle du musicien. Quand le niveau technique est suffisant, il peut
laisser parler sa personnalité."
Techniquement, Patrick Robin est sûr de son art. Cette certitude vient
de loin : "Pendant mon apprentissage à l'école de lutherie
de Newark on Trent, j'étais un élève doué."
Etonnamment, nulle immodestie ne transparaît de ce propos. En l'écoutant,
si calme, si serein, on sait qu'il dit vrai. Les différentes distinctions
obtenues dans des concours internationaux parlent également d'évidence
: médailles d'or violon , alto, violoncelle au premier concours international
de la ville de Paris en 1991, pris de la fondation Marcel Vatelot, prix de l'Académie
des beaux-Arts, médaille d'or violoncelle à la “Strad Cello
and Bowl Making Compagny” à Manchester en 1994, médaille
d'or alto à la “Internationaler Geigenbauwettbewerb“ à
Mittenwald en 1989. "Il y a une part de chance dans ces concours, assure-t-il.
Le jury est naturellement subjectif dans ses choix, il faut donc être
très convaincant. La sonorité des instruments doit s'imposer.
Il faut que sa sonne et que ça suscite la curiosité."
Après les trois prix gagnés à Paris, l'atelier de Patrick
Robin , établi à Angers avec sa femme Andréa, elle même
luthier et ancienne élève de Newark on Trent, allait effectivement
susciter la curiosité. "Depuis notre installation en 1988, nous
avons fait le choix avec Andréa de nous consacrer exclusivement à
la fabrication. C'était un pari difficile. Le fait de remporter ses prix
nous a donné une importante notoriété."
Aujourd'hui, Patrick Robin participe toujours aux concours internationaux, mais
désormais comme membre du jury. C'est ainsi qu'il siège à
Manchester, Mittenwald, Paris, Poznan et Querétaro au Mexique. En novembre
2000, il a été nommé Maître d'art par Catherine Tasca,
Ministre de la culture et de la Communication.
Ses instruments sont joués par de nombreux solistes et musiciens d'orchestres
prestigieux : Philharmonique de Berlin, Orchestre de chambre de Vienne, Volks
Oper de Vienne, Philharmonique d'Helsinki, Philharmonique de Radio France, Opéra
et Orchestre de Paris…
Son carnet de commande est plein pour les quatre prochaines années. Tout
est dit ! Reste pourtant des questions toujours ouvertes : "Je participe
cette année à un colloque de luthiers en Toscane, le sujet de
cette rencontre porte sur la lutherie contemporaine. Nous travaillons effectivement
sur un instrument dont les formes n'évoluent plus depuis le XVIIIéme
siècle. Au quotidien, dans notre pratique de la lutherie, nous évoluons
entre des limites strictes. Pourtant, une liberté existe à l'intérieur
de ce cadre, elle est sans doute confidentielle, mais elle est bien là."
Dans cet espace si ramassé, il semble qu'il y ait la place pour beaucoup
de talent…
Poncè-sur-le-Loir,
Sarthe
La
harpe celtique : une certaine quête du Grall…
Pour Philippe Volant, tout a commencé, il y a quatre ans, par une rencontre.
« Je suis ébéniste de formation. Un jour, j’ai discuté
avec un jeune harpiste qui avait fait des essais de lutherie en Irlande. Je
l’écoutais parler et le déclic s’est fait. Je me suis
donc inscrit à une formation de lutherie en Picardie. Cela m’a
donné une première approche sommaire. Suffisante, toute fois,
pour confirmer mes premières impressions et mon envie de prolonger l’expérience.
Parallèlement, je me suis beaucoup documenté en allant régulièrement
au musée de la musique à Paris. Je recueillais tout ce que je
trouvais : des plans, des cotes, des comptes-rendus de colloques sur la fabrication
des instruments. Pour une bonne part, je suis donc autodidacte. J’ai réalisé
une première harpe de quinze cordes, que j’ai évidemment
gardé pour moi. Elle était bien faite, mais le choix des bois
était moyen. Le bois de lutherie coûte très cher…
»
Après ce premier essai, Philippe a tout de suite envie de se lancer dans
un projet plus ambitieux : « Quinze cordes, c’est petit. On peut
faire des harpes de 22, 27, 34, 36 voir même de 38 cordes. J’ai
commandé des plans et des pièces en Australie, par Internet. En
fait, il faut savoir que chaque luthier à sa propre forme de harpe. Il
n’y a pas un profil type et c’est ce que j’aime beaucoup dans
cet instrument. Chacun à sa signature, sa personnalité, qu’il
transmet aux instruments fabriqués. J’ai donc énormément
réfléchi, j’ai accumulé les dessins avant de trouver
la forme qui me corresponde. » La harpe celtique, comme une sorte de Zen
gaëllique …
« Je voulais quelque chose d’assez fort, reprend Philippe, avec
une bonne présence, du caractère aussi. Cette silhouette s’adapte
ensuite aux différents instruments en fonction de la tension et du choix
des cordes. »
Trois harpes portent aujourd’hui sa signature et une quatrième
est en cours de réalisation. « C’est le début, je
n’ai toujours pas totalement abandonné mon premier métier
d’ébéniste, mais la bascule est en train de se faire. Ce
passé me donne une connaissance importante du bois, il y a une continuité
entre les deux activités. Sans cette culture de la matière, du
geste aussi, je n’aurai sans doute pas avancé aussi vite.
Je sais que mes instruments sont appréciés par les musiciens,
notamment par ceux qui ont une formation classique. »
S’il a trouvé “Sa Forme“, Philippe continue de s’interroger.
« Je remets toujours tout en question, ma démarche est nécessairement
évolutive. Mon premier instrument sonnait déjà très
bien, mais il reste des milliers de petites choses à ajuster. Je cherche
toujours la qualité parfaite. Je n’utilise que les meilleurs cordes,
les meilleurs mécanismes, et aujourd’hui, les meilleurs bois…
Je vis dans la quête de l’instrument idéal, c’est ce
qui donne le sens fondamental de mon travail. Je suis donc engagé dans
une recherche perpétuelle, car cet instrument parfait n’existe
évidemment pas. » Qui sait ? La harpe celtique pourrait bien mener
au Grall…